Mécénat culturel : une stratégie d’image engagée pour les entreprises ?
Par Adélaïde de la Bourdonnaye | Le | Marques & entreprises
Les entreprises doivent-elles avoir un rôle en matière de culture ? D’après la 4e édition du baromètre Havas x CSA, 44 % des Français considèrent qu’elles doivent contribuer au financement du secteur. Et pour lui être utile, ils sont 51 % à penser qu’elles doivent créer des Fondations dédiées. Les groupes EDF, Renault et Pernod Ricard n’auront pas attendu ces chiffres pour se lancer. Quelles sont les actions de ces grands groupes en matière de culture ? Comment leur engagement bénéficie-t-il à leur identité et leur image ? Entre enjeux philanthropiques, enjeux de communication et enjeux financiers, zoom sur ces trois acteurs historiques révélateurs du secteur.
30 % des entreprises mécènes choisissent la culture
Susciter des émotions, faire réfléchir, tisser un lien. La culture façonne nos sociétés et semble essentielle au corps social. Autour d’elle, les liens avec le monde économique et privé, qui ont toujours existé, se sont intensifiés ces dernières années. Cette évolution a permis au secteur culturel et artistique de bénéficier de financements plus importants, tout en offrant aux entreprises une nouvelle opportunité d’améliorer leur image et de se rapprocher davantage de la société.
La France compte 5647 fondations et fonds de dotation en activité d’après la Fondation de France. Parmi les champs d’action de ces acteurs de la philanthropie, le mécénat culturel n’est pas en reste et se développe amplement. L’ADMICAL le précise dans ses derniers chiffres : plus de 30 % des entreprises mécènes ont choisi d’agir dans le domaine de la culture en 2021, soit une hausse significative de 26 % par rapport au baromètre précédent. En la matière, les grands groupes français ne sont pas en reste. Si le secteur du luxe est un allié « naturel » du domaine culturel, d’autres grands noms dans des domaines très variés ont su préempter de longue date ce terrain.
La Fondation EDF : la culture comme levier de sensibilisation en écho avec la mission du groupe
Le Groupe EDF a lancé sa Fondation en 1987, d’abord sous l’égide de la Fondation de France, puis depuis 2007 en tant que Fondation d’entreprise au sens strict. Le mandat actuel dote la Fondation d’un budget de 10 millions d’euros par an, permettant d’inscrire sa démarche aujourd’hui en cohérence avec la raison d’être du groupe. « EDF, à travers sa fondation, poursuit le chemin engagé il y a 40 ans en restant cohérent avec la raison d’être du groupe, qui est de construire un avenir énergétique neutre en carbone tout en préservant la planète et en assurant le bien-être et le développement. » nous explique Alexandre Perra, Délégué Général de la Fondation du Groupe EDF. « Pour une fondation d’entreprise, cela signifie prolonger cette mission dans le champs de l’intérêt général pour que la transition écologique soit également juste et inclusive. Il y a un grand travail à faire, notamment en investissant le champ social, en soutenant l’éducation et la formation, et en levant les obstacles géographiques, sociaux, économiques et physiques pour que chacun puisse faire valoir ses talents pour participer à cette transition ». Et pour permettre d’atteindre cet objectif, la culture est activée comme un levier. « La culture permet de créer le dialogue et fait réfléchir collectivement aux grands enjeux de société liés à la transition écologique. En utilisant l’art et l’émotion, on encourage l’envie d’avancer ensemble. » complète-t-il.
Concrètement, au-delà de ses actions de soutien financier à quelques 300 associations par an, la Fondation EDF organise régulièrement des événements à dimension culturelle pour faire réfléchir dans une démarche d’accessibilité. « On organise des événements, des activités, des actions culturelles qui ont toujours pour objectif de faire réfléchir collectivement à des grands enjeux de société en lien avec cette transition écologique et sociale. De manière à pouvoir, par le prisme de l’art et de l’émotion créer le dialogue et puis l’envie d’avancer ensemble ». Expositions temporaires itinérantes en collaboration avec des musées et des galeries (parmi la centaine d’œuvres de la Collection du Groupe et/ou œuvres prêtées par des musées et galeries), événements culturels festifs dans ses murs à Paris, ateliers d’artistes… la Fondation EDF s’entoure généralement de commissaires scientifiques et artistiques. « Nos expositions se veulent artistiques et pédagogiques. C’est pourquoi nous sommes très vigilants à la médiation et à la contextualisation ». explique Alexandre Perra. « Notre enjeu est d’attirer tous les publics, et pas uniquement les afficionados. Pour favoriser la mixité sociale, l’essentiel de nos activités est gratuit ». explique Alexandre Perra.
Si cela n’est pas l’objectif premier, cette démarche de mécénat ne peut qu’avoir un impact sur l’image de marque du groupe EDF. « Ce n’est pas l’objet premier de la Fondation. Mais je pense que cela contribue à la nourrir. […] Quand on est une entreprise comme EDF, on a une dimension de service public chevillé au corps. Il est certain que notre Fondation renforce notre image en matière de lien social, partout en France et favorise le lien avec la jeunesse. »
Le Fonds de dotation Renault : mécène industriel d’une création émergente
C’est à la fin des années 60 que Claude Renard, un cadre de la maison proche d’André Malraux féru d’art contemporain, réussit à convaincre le président d’alors d’ouvrir un département « Recherche, Art et Industrie », afin d’initier des collaborations avant-gardistes en soutenant des artistes contemporains, pourvus qu’ils créent des œuvres, souvent de grande envergure en lien avec Renault. Elles sont ensuite exposées dans les différents sites industriels de l’entreprise. « Monsieur Renard a permis la rencontre de deux mondes qui ne se connaissent pas du tout : celui de l’art et celui de l’industrie. » nous relate Catherine Gros, VP Arts et mécénat du Groupe. Au fil des années, les œuvres se sont multipliées, constituant une collection remarquée, allant jusqu’à plus de 500 œuvres. Malgré sa richesse, elle a peu été valorisée et est tombée progressivement dans l’oubli.
Les années passent. Alors que la Fondation Renault, créée en 2001, s’engage en matière de mécénat social, se concentrant principalement sur des actions en matière de sécurité et de secours, émerge au fil des années une nouvelle question en interne. Que faire de cette fabuleuse collection oubliée ? Pour ne pas mélanger les sujets et spécialiser ses engagements, c’est récemment que Renault a tranché. Au printemps dernier, Renault a ainsi lancé son Fonds de dotation dédié à l’art contemporain, notamment le Street Art. Ce fonds est destiné à enrichir, exposer, et préserver la collection d’art de Renault tout en soutenant la création artistique contemporaine. « le Fonds a été créé pour gérer et promouvoir cette collection de manière indépendante, en se concentrant sur l’art contemporain et en poursuivant l’idée originale de faire rencontrer le monde de l’art et celui de l’industrie » nous explique Catherine Gros. « Naturellement présent dans la rue, Renault Group partage avec le Street Art non seulement un espace commun, mais aussi la créativité, la popularité, la virtuosité et le goût des défis ». Afin de garder cette collection vivante, la restaurer et la rendre disponible pour le grand public, Renault a décidé d’en vendre pour l’équivalent de 10 % de sa valeur.
Concrètement, au-delà de la mise en valeur et de l’exposition des œuvres de la collection, Renault va donc soutenir des artistes contemporains en les invitant à créer des œuvres inspirées par l’univers industriel de la marque. Par exemple, l’artiste britannique Dan Rawlings a posé ses outils au cœur d’un atelier Renault à Douai pour transformer une Renault R5 E-Tech électrique (le nouveau modèle star du constructeur) en œuvre d’art, réaffirmant le lien entre l’art et l’industrie. Cette œuvre a ensuite été exposée au public parisien au sein du pop-up MAISON5 tout l’été.
Et en termes d’impact sur l’image de marque ? « C’est ce qu’on appelle en bon français le « soft power », c’est que cela fait partie d’une sphère d’influence différente. […] L’idée est de créer un attachement à l’entreprise, car c’est une démarche ancienne qui fait partie de sa culture », explique Catherine Gros. Ces projets ne servent pas seulement à enrichir le patrimoine culturel de l’entreprise, mais aussi à susciter un intérêt et un attachement durables tant chez les collaborateurs que chez le public. En intégrant l’art à son ADN, Renault renforce son identité de marque et son attrait, tant en interne qu’en externe. « On ne peut pas s’inventer tout d’un coup une mission culturelle. […] Notre légitimité tient dans nos racines. », conclut Catherine Gros.
La Fondation Pernod Ricard : entre création contemporaine et convivialité
La Fondation Pernod Ricard, créée en 1998, incarne l’engagement historique du groupe en faveur de l’art contemporain et de la convivialité. « La Fondation est née dans une continuité avec l’histoire du groupe et avec ses valeurs », explique Antonia Scintilla, directrice de la Fondation. Paul Ricard, le fondateur du groupe, était lui-même artiste et a toujours soutenu les créateurs. « Pour Paul Ricard, notre fondateur, il s’agissait en fait d’un accompagnement dans la durée, dans le développement de leur carrière », précise Antonia Scintilla. La Fondation, qui ne possède donc pas de collection, se concentre sur la promotion de la création émergente en France et à l’international. Elle est financée par un budget de fonctionnement assuré par Pernod Ricard et par du mécénat de compétences, les collaborateurs du groupe étant détachés pour contribuer aux activités de la Fondation.
Concrètement, la Fondation Pernod Ricard organise en ses murs, à proximité de la gare Saint-Lazare à Paris, plusieurs expositions et événements chaque année, tous gratuits et ouverts à tous, pour soutenir les artistes émergents. « La mission de la Fondation est d’accompagner les artistes dans le développement de leur carrière », déclare Antonia Scintilla « Elle met en avant des talents à un moment charnière de leur parcours, entre émergence et reconnaissance internationale ». Depuis 1999, la Fondation décerne son propre prix, qui récompense un artiste contemporain. « Chaque année, le prix permet d’acquérir une ou plusieurs œuvres qui rejoignent ensuite les collections du Centre Pompidou », ajoute la directrice. En 2024, la Fondation a ouvert Aperto, un espace dédié à la recherche et à l’expérimentation. « C’est un lieu que nous allons utiliser comme espace de recherche, sans l’enjeu de démonstration, mais avec un véritable enjeu de créativité », explique Antonia Scintilla.
En parallèle des activités de la Fondation, Pernod Ricard mène également un mécénat direct. « Les deux mondes se côtoient, cohabitent et se complètent au sein du groupe », souligne Charlotte Ardon, responsable de la philanthropie au sein de Pernod Ricard. Dans ce cadre, le groupe est mécène historique du Centre Pompidou, notamment pour le programme du spectacle vivant. « Nous avons décidé de soutenir le spectacle vivant parce que c’est un art profondément humain et convivial, ce qui correspond parfaitement à notre raison d’être. Pernod Ricard est créateur de convivialité », déclare Charlotte Ardon.
Sur le plan de la communication, ces initiatives culturelles jouent un rôle essentiel pour renforcer l’image de Pernod Ricard. « La Fondation rayonne beaucoup, en interne comme à l’externe », mentionne Antonia Scintilla. « Nos actions philanthropiques démontrent notre engagement envers la société et la culture. Cela renforce naturellement notre image de marque », conclut-elle.
La philanthropie en France, le vent en poupe
Il n’existe pas un modèle unique de fondation en France, mais plutôt une succession de statuts qui ont chacun marqué une nouvelle étape dans l’évolution de ce type d’engagement. Les premières fondations redistributives, comme la Fondation de France, apparaissent dans les années 1960. Toutefois, c’est avec la loi du 23 juillet 1987 qu’un véritable statut est attribué aux fondations, offrant une définition précise qui, à l’époque, s’applique uniquement aux fondations reconnues d’utilité publique.
Cette loi reconnaît également le mécénat d’entreprise, mais ce n’est qu’avec la loi du 1er août 2003, connue sous le nom de « loi Aillagon », que ce dispositif connaît un essor significatif, marquant le début d’une forte croissance des fondations d’entreprise et des fondations abritées. Plus tard, la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 introduit les fonds de dotation, qui, grâce à leur facilité de création et de gestion ainsi qu’à leur flexibilité juridique, calquée sur celle des fondations reconnues d’utilité publique, suscitent un vif engouement et un nombre croissant de créations depuis lors.
D’après l’Observatoire de la philanthropie de la Fondation de France, la vitalité philanthropique est en effet certaine : en croissance constante depuis plus de 20 ans, le nombre de fondations et fonds de dotation a progressé de 5 % en 2023 par rapport à 2022. L’engagement des acteurs philanthropiques est aussi toujours plus soutenu, avec une augmentation de leurs dépenses de près de 9 % en un an, soit 16 milliards d’euros engagés pour mener leurs actions d’intérêt général en 2023. Réduction d’impôts de 60 % (plafonnée à 20 000 euros ou à 0,5 % du chiffre d’affaires annuel hors taxes de l’entreprise), exonération d’impôt sur les sociétés pour les revenus des fondations entres autres… Si les avantages existent, il serait néanmoins abusif de dire qu’ils justifient à eux seuls l’action philanthropiques des entreprises.
Les entreprises s’engagent
5647 fondations et fonds de dotation en activité, +5 % en 2023.
+40 % de Fondations en 10 ans
Source : Fondation de France