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Etienne Mathé : « la prévision du marché des expériences immersives est de 80 Mds de $ en 2028 »

Par Pascale Baziller | Le | Solutions

Etienne Mathé, ingénieur informatique et président de Digital Essence nous apporte son éclairage sur les évolutions et les perspectives du marché du vidéo-mapping et des expériences immersives.

Etienne Mathé, président de Digital Essence  - © Digital Essence
Etienne Mathé, président de Digital Essence - © Digital Essence

Quel est votre positionnement sur le marché ?

Digital Essence est un éditeur de logiciels. Notre vision est de démocratiser le vidéo-mapping et les espaces immersifs par le développement de solutions technologiques fiables, compactes et surtout, notre point fort, facile d’utilisation pour des non-spécialistes. C’est pour cela que nous avons développé et que nous commercialisons le logiciel HeavyM depuis maintenant 10 ans. Il a été utilisé par plus de 20 000 artistes et professionnels de l’audiovisuel partout dans le monde et surtout aux Etats-Unis. C’est notre plus grande fierté. Nous avons réussi à rendre accessible une technologie à la base complexe car nécessitant plusieurs compétences différentes.

Notre technologie de vidéo-mapping associée à un catalogue d’ambiances visuelles permet de répondre à un grand nombre de brief créatif.

Nos clients nous sollicitent ainsi régulièrement pour des conseils techniques sur des projets ambitieux. Dernièrement, nous avons eu l’opportunité de travailler avec Bonjour Interactive Lab et AP-01 Studio sur l’espace immersif Planète Sapin aux Galeries Lafayette pour les fêtes de fin d’année (2022). L’installation mettait en œuvre 6 projecteurs, pour une surface d’image courbe de plus de 20 mètres de long. Le concept reposait sur des visuels générés en temps réel qui réagissaient aux mouvements des visiteurs grâce à des capteurs.

 Espace immersif Planète Sapin aux Galeries Lafayette pour les fêtes (fin 2022) avec Bonjour Interactive Lab et AP-01 Studio  - © Digital Essence
Espace immersif Planète Sapin aux Galeries Lafayette pour les fêtes (fin 2022) avec Bonjour Interactive Lab et AP-01 Studio - © Digital Essence

Quelles sont les demandes les plus fréquentes auxquelles vous répondez ?

Les artistes scéniques ont été les “early-adopters” ou utilisateurs précoces de notre logiciel. Ces profils créatifs ont vu dans HeavyM la possibilité de créer un vidéo-mapping sans être experts. Les premières applications ont été pour des concerts, soirées, spectacles, festivals…

Ensuite, les professionnels de l’événementiel ont vu dans notre technologie un moyen accessible pour déployer une animation visuelle impactante. Nous avons eu l’occasion d’accompagner nos clients pour des événements comme les 10 ans de Youtube chez Google France ou la convention annuelle de Kenzo.

Enfin, aujourd’hui nous avons de plus en plus de demandes pour des installations dans le domaine des salons professionnels et du retail.

Le vidéo-mapping est souvent utilisé sur les salons pour projeter sur des produits afin de les rendre attractifs. Par exemple, pour le salon ESTRO à Barcelone, nous avons travaillé avec le fabricant de robot médical Accuray afin de mettre en avant un de leur produit phare sur leur stand. Il s’agissait d’expliquer le fonctionnement interne du robot avec une animation visuelle qui reflète l’image technologique et innovante du fabricant. En donnant vie à un objet inerte par la projection, vous générez un intérêt significatif qui se prolonge ensuite par des vidéos postées sur les réseaux sociaux.

Pouvez-vous nous parler des principales évolutions en vidéo-mapping, solutions immersives, décorations digitales… ?

Je vois deux principales évolutions. La première présente depuis plusieurs années est l’interactivité. Le vidéo-mapping et les espaces immersifs sont des moyens formidables pour créer des expériences dont les spectateurs se souviendront. Les souvenirs, c’est ce que nous voyons et entendons mais ce sont aussi les émotions que nous ressentons. Pour accentuer ces émotions, le public doit pouvoir passer du rôle de spectateur à celui d’acteur. Des projections réactives au toucher sur une table ou aux déplacements au sol sont de formidables moyens pour impliquer le public dans l’expérience. 

Les Japonais de TeamLab ont été les précurseurs et nous allons en voir de plus en plus !

La deuxième évolution, qui a beaucoup buzzé ces derniers mois, est l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans les domaines de la création. Avec MidJourney, Dall-E et Stable Diffusion, il est possible de générer des images sur la base de brief(s) créatif(s). En revanche, il est encore difficile de générer des animations visuelles car la puissance de calcul, les algorithmes et les modèles de données pour l’entrainement des IA ont encore des limites. Aujourd’hui, il n’est pas encore possible d’entraîner des IA avec des images animées. Demain, ce ne sera plus une barrière.

Quelles sont les perspectives de ce marché selon vous ?

Selon Grand View Research, un cabinet américain d’études, le marché des expériences immersives est évalué à 14 Mds de dollars en 2022. La prévision pour 2028, avec des hypothèses optimistes, est de 80 Mds de dollars. Ce qui est sûr, c’est que le vidéo-mapping et les expériences immersives vont continuer à se démocratiser. Ce que nous pouvons difficilement évaluer, c’est à quelle vitesse cette démocratisation va se faire.

Mais, je suis plutôt confiant sur cette démocratisation car le grand public est aujourd’hui très friand de ce type d’expérience. Je ne pense pas que ce soit juste un effet de mode. Nous pouvons le constater avec le succès des sites de Culturespaces, notamment l’Atelier des Lumières (Paris 11e), qui accueille plusieurs millions de visiteurs chaque année depuis 2018 aussi bien pour des expositions culturelles grand public que des événements privés (lancements de produits…).

La solution Lightdrop permet de créer un espace immersif de 12 m2 clé en main - © Digital Essence
La solution Lightdrop permet de créer un espace immersif de 12 m2 clé en main - © Digital Essence

Comment appréhendez-vous la durabilité et la RSE dans votre domaine ?

La vidéo-projection ne produit pas de déchets à la différence de la décoration événementielle qui est jetée à la fin d’un événement lorsqu’elle n’est pas réutilisée ou recyclée. L’impact environnemental est ainsi considérablement réduit ! Le vidéo-mapping, dans le cadre d’une projection sur un bâtiment, est plutôt écologique car d’une part, il ne génère pas de déchets et d’autre part, il ne consomme pas beaucoup d’énergie. Une heure de vidéo-mapping consomme environ 10kWh. Par comparaison, si 1000 spectateurs regardaient un contenu d’une même durée sur une plateforme de streaming, ils consommeraient 50 fois plus…

Quel regard portez-vous sur les expériences immersives en France et à l’étranger ?

Depuis la fin du Covid, on a beaucoup parlé du metaverse, pour lequel il y a des applications évidentes dans les secteurs de la santé ou encore l’éducation et qui continueront de se développer, j’en suis certain. Aux Pays-Bas et au Portugal par exemple, il existe des “multisensory rooms” (chambres multisensorielles) pour aider les personnes atteintes d’autisme à développer leurs compétences sociales. Ce type d’espaces immersifs peut avoir un rôle à jouer dans la santé.

En complément, je pense que les LBE (location based experience) vont permettre un premier accès aux mondes virtuels. Il s’agit d’espaces de divertissement, comme des bowlings ou des parcs d’attraction, dans lesquels vous perdez la notion du temps et de l’espace. Vous êtes alors concentré sur l’activité en cours et les personnes qui vous accompagnent. Je considère qu’une expérience impactante est une expérience collective. Les escape games en sont un très bon exemple. Je pense que les pratiques vont évoluer dans cette voie avec une connexion toujours plus forte entre le réel et le virtuel.

Par exemple, je peux citer l’exposition L’horizon de Khéops à l’institut du monde arabe l’année dernière. Les casques de réalité augmentée permettaient de vivre en famille ou entre amis un voyage dans le temps de 2600 ans en arrière !

Aux Etats-Unis, ce type de lieux (LBE) est en pleine émergence. Le programme Immersive Spaces de la Villa Albertine, en partenariat avec l’Institut Français, effectue actuellement un travail de recensement de ces nouveaux espaces récréatifs ou/et culturels.

Si vous deviez nous exposer un projet (ou des projets) qui a (ont) récemment retenu votre attention ?

Je suis un très grand fan des travaux du studio Ouchhh et de Refik Anadol. Ils utilisent des données pour créer des œuvres générées avec de l’intelligence artificielle (IA). Ces données sont issues des mondes virtuels, grâce au big data, ou réels, dans la littérature scientifique. Le résultat qui utilise des quantités de données générées par les systèmes d’information est visuellement incroyable !

Par exemple, Refik Anadol crée des tableaux numériques représentant des sculptures de données s’appuyant sur plusieurs centaines de millions de photos liées à la nature et disponibles publiquement. Le logiciel développé par son studio permet de générer des fluides en mouvement grâce à des calculs utilisant directement les lois de la physique quantique.

Quelles sont aujourd’hui les limites de ces solutions ?

Le principal problème aujourd’hui dans le déploiement d’expériences immersives est la contrainte du lieu. Ces expériences sont conçues pour être spécifiques au site de diffusion ; donc si le site change, il faut prévoir des changements dans le contenu. Or, ces changements peuvent être conséquents et induire des coûts importants pouvant être un frein à la diffusion de ces expériences. Ce n’est pas comme un format 16/9 de cinéma !

Aujourd’hui, les technologies pertinentes pour le développement de notre industrie existent déjà car elles s’appuient sur les expertises et les savoir-faire de celles des jeux vidéo. Le défi de demain résidera surtout dans la capacité des acteurs à se mettre d’accord sur une standardisation.

Vos dernières actualités en quelques mots…

C’est notre partenariat avec le groupe CTN leader européen de la décoration événementielle. Nous avons conçu ensemble la solution Lightdrop. Elle permet de déployer en moins d’une journée un espace immersif de 12m2 clef en main afin de répondre aux besoins des annonceurs misant sur l’expérience. Dès les phases d’étude et de conception, nous avons intégré le critère écologique. Nous avons calculé qu’un espace Lightdrop à 3 projecteurs a un impact énergétique similaire à un trajet de 17km en voiture.