Inspirations

Tartufferie à la française


L’inauguration du magasin Shein au BHV a pris des allures de grand spectacle, où mise en scène et hypocrisie semblaient parfaitement raccords.

Tartufferie à la française
Tartufferie à la française

« Couvrez ce Shein que je ne saurais voir. » Que Molière me pardonne ce détournement, mais comment ne pas convoquer Tartuffe face à la comédie qui s’est jouée cette semaine sous les verrières du BHV ? L’ouverture du premier magasin physique de la plateforme chinoise, honnie des défenseurs de l’éthique et de l’environnement, relevait moins du happening commercial que du cirque médiatique.

Tanguy Leclerc - © D.R.
Tanguy Leclerc - © D.R.

L’événement a offert un miroir parfait de ce que la communication peut produire de plus cynique lorsqu’elle se pare de vertu : mise en scène millimétrée, discours policés, enthousiasme calibré : tout semblait avoir été pensé pour faire oublier l’essentiel — la réalité des pratiques que l’on prétend ignorer.

À l’heure où l’authenticité est brandie comme une valeur cardinale par les marques, on ne peut que regretter qu’une institution comme le grand magasin parisien s’en lave les mains. Plus c’est gros, plus ça passe, dit-on…

Shein, désormais dans le viseur du gouvernement pour ses pratiques sociales et environnementales, s’offre ainsi une vitrine au cœur de Paris, sous couvert de « diversité de l’offre » et de « liberté du consommateur ». Une belle pirouette rhétorique, en réalité, pour justifier une stratégie commerciale qui préfère détourner le regard de la provenance des produits et des conditions de leur fabrication, tant que la fréquentation suit.

Mais cette inauguration révèle autant les incohérences d’une enseigne que celles de notre société tout entière. Dénoncer la fast fashion tout en cédant à ses sirènes dès qu’un bon plan s’affiche sur sur son écran relève d’un paradoxe bien ancré — celui d’une époque où chacun aspire à consommer mieux, tout en refusant de renoncer à la liberté d’acheter ce qui lui plaît.

Dans Tartuffe, Molière se moquait de ceux qui invoquent la morale pour mieux servir leurs intérêts. Quatre siècles plus tard, la comédie n’a pas pris une ride.