Joseph Bizard / OC Sport : « Il faut orienter le monde du sport vers des pratiques plus durables »
À l’occasion de la présentation officielle de l’édition 2026 de la Route du Rhum, le directeur général de la filiale événementielle du groupe média Télégramme décrypte la façon dont il place le développement durable au cœur de sa stratégie.
OC Sport organise des événements au cœur de la nature. Pourquoi avoir placé très tôt le développement durable au centre de votre stratégie ?
J.B. : Cet objectif s’inscrit dans notre ADN et dans la mission que nous nous fixons : organiser des compétitions sportives dans des environnements naturels exceptionnels, que ce soit la mer, la montagne, et plus largement la nature, que nous devons valoriser et préserver. Nous reconnaissons que rassembler du public est un besoin essentiel, mais nous nous engageons à rendre ces événements acceptables en minimisant leur impact environnemental.
Comment avez-vous structuré cette démarche ?
J.B : Nous avons commencé par ce qui était le plus mesurable : l’impact carbone. Une fois le bilan carbone maîtrisé — grâce à une méthodologie certifiée développée avec Toovalu —nous avons pu définir notre trajectoire de réduction d’émissions.
Comment avez-vous affiné votre approche pour garantir que votre trajectoire de réduction soit à la fois ambitieuse et scientifiquement crédible ?
J.B : Avec l’aide du cabinet Carbone 4, cofondé par Jean-Marc Jancovici, nous avons construit une trajectoire alignée sur la Stratégie Nationale Bas-Carbone : elle consiste à diviser par deux nos émissions d’ici 2034 dans la voile par rapport à 2022, et d’un tiers d’ici 2030 pour l’outdoor.
Vous évoquez également une logique de contribution carbone, qu’entendez-vous par-là ?
J.B : Au-delà de la remise en question de l’ensemble de nos pratiques pour minimiser l’impact carbone de nos événements, nous avons développé un plan de contribution carbone 100 % local en collaboration avec Agoterra. L’idée est de soutenir des initiatives agricoles vertueuses et régénératrices — menées à proximité des sites de nos événements — qui contribuent à capturer des quantités significatives de CO₂ tout en favorisant une dynamique d’emploi durable.
Sur la Route du Rhum, 70 % des émissions carbone viennent de la mobilité du public.
Quelles différences observez-vous entre l’outdoor et la voile en termes d’impact ?
J.B. : Lors d’un marathon, le déplacement des participants pèse très lourd. Sur le marathon de Genève par exemple, quelques coureurs venant des États-Unis ou du Canada pouvaient faire exploser le bilan carbone. Nous avons donc arrêté de promouvoir l’événement à l’international. En voile, c’est l’inverse : peu de participants, mais énormément de visiteurs : la Route du Rhum, c’est 1,2 million de personnes qui se rendent au village départ à Saint-Malo, et 70 % des émissions viennent de la mobilité du public.
Comment agissez-vous sur ces déplacements ?
J.B. : En running, nous ciblons désormais exclusivement les bassins de proximité et sensibilisons chaque inscrit via un questionnaire et un calculateur carbone. Le résultat est probant puisque la part de participants extra-européens a fortement diminué : -23 % pour les coureurs en provenance des États-Unis et de Grande-Bretagne par rapport à 2019, -28 % pour les Canadiens. En voile, notamment pour la Route du Rhum, nous concentrons les efforts sur un partenariat renforcé avec la SNCF pour favoriser les déplacements en train et limiter la voiture. Nous profitons aussi de la décarbonation progressive des transports, mais nous cherchons à aller plus vite que cette trajectoire mécanique.
Les collectivités avec lesquelles vous collaborez ont-elles évolué sur ces questions ?
J.B. : Oui, surtout depuis 2022. Pendant longtemps, notre discours RSE passait inaperçu. Mais le réchauffement climatique fait évoluer les mentalités : les épisodes de sécheresse ont provoqué une prise de conscience. Aujourd’hui, aucune collectivité ne nous sollicite sans demander notre plan RSE. Nos standards sont souvent en avance, mais ils servent désormais de référence.
Vous avez récemment présenté les contours de l’édition 2026 de la Route du Rhum, qui est la plus grande transatlantique au monde en terme de participants. Quelles mesures mettez-vous en place pour respecter vos engagements ?
J.B. : Les participants sont partie prenante du projet. Dès leur inscription, ils sont obligés de contribuer au bilan carbone de l’événement, fournir des informations, renseigner leurs consommations, leurs déplacements, etc. Ils sont donc solidaires du résultat. Ils doivent également signer une charte d’engagement pour que toutes leurs opérations dans le périmètre de nos villages soient en phase avec les standards que nous imposons. Nous avons par ailleurs interdit le retour des bateaux par cargo, extrêmement émetteur, et introduit des zones d’exclusion sur le parcours de la course pour protéger les cétacés.
Comment les participants accueillent-ils ces contraintes ?
J.B. : Au début, il faut beaucoup expliquer. Une zone d’exclusion modifie une stratégie de course, mais une fois les règles clairement établies, les marins jouent le jeu. Ce sont des compétiteurs, ils s’adaptent au terrain de jeu qu’on leur propose.
Vos partenaires doivent-ils aussi s’aligner ?
J.B. : Absolument. Tous les appels d’offres passent par notre département RSE. Nous avons déjà refusé des partenaires non compatibles. D’autres évoluent grâce à nous : Suzuki par exemple a utilisé nos événements pour valoriser ses modèles de moteurs hybrides, et devrait bientôt en faire de même pour sa gamme électrique.
Vous avez également retravaillé la catégorie « vintage », quelle est sa spécificité ?
J.B. : L’objectif est de faire en sorte que les bateaux de cette catégorie soient acceptables sur le plan environnemental. Les règles telles que nous les avons définies interdisent les bateaux neufs construits en carbone. Nous avons intégré des critères de poids, d’historique des matériaux, de proportion de matériaux recyclés à utiliser, etc. L’idée est que cette flotte soit composée soit de bateaux historiques remis en navigation et dont le cycle de vie est prolongé, donc mieux amorti, soit de bateaux neufs promouvant des initiatives durables, soit de bateaux reconstruits avec des matériaux recyclés, dont le bilan carbone global est meilleur que s’ils avaient été simplement détruits.
Il s’agit d’orienter le monde du sport vers des pratiques plus respectueuses, sans dénaturer la compétition.
Cette catégorie “vintage” devient donc un laboratoire de sobriété
J.B. : Exactement. Elle promeut ces initiatives au-delà de la performance pure et de l’esthétique. Pour l’instant, les catégories reines — Multi et Imoca —ne sont pas soumises à ces mêmes contraintes. Toute la question, pour l’avenir, est de savoir comment faire évoluer progressivement les formats de course pour limiter l’usage de matériaux performants mais très impactants d’un point de vue environnemental, et orienter le monde du sport vers des pratiques plus respectueuses, sans dénaturer la compétition.
Comment comptez-vous intégrer vos standards durables sur le village départ, dans l’expérience visiteurs ou la restauration ?
J.B. : En 2022, nous avions initialement envisagé de passer à une restauration 100 % végétarienne. Mais c’était un peu présomptueux sur un territoire comme la Bretagne, à forte culture porcine. Nous avons donc décidé de le faire uniquement sur ce que nous maîtrisons, mais nous exigeons une alternative végétarienne pour toutes les offres de restauration présentes sur le village.
Vous limitez désormais la croissance du village de départ. Pourquoi ?
J.B. : En 2026, il ne dépassera pas 70 000 m². Nous pourrions faire plus grand, mais en 2022 une logique de surenchère s’était installée. Il devenait contre-productif de produire autant d’efforts au détriment de l’expérience offerte à nos partenaires et au public. Nous avons donc délibérément mis un coup de frein spour rééquilibrer ce qu’il apporte d’un point de vue économique avec ce qu’il pèse d’un point de vue écologique. Pour la 13e édition de l’épreuve, l’an prochain, nous souhaitons développer un nouveau storytelling autour de l’épreuve, et passer de « la transat de tous les records » au « plus grand sprint autour du monde ».
Nous créons des expériences où le sport se mêle au divertissement pour captiver un public toujours plus large
Quel regard portez-vous sur l’avènement du sportainment ?
J.B. : J’y suis d’autant plus favorable qu’il est au cœur de notre vision chez OC Sport : nous ne nous contentons pas d’organiser des compétitions, nous créons des expériences spectaculaires où le sport se mêle au divertissement pour captiver un public toujours plus large. Des événements comme la Route du Rhum en sont l’illustration parfaite : bien plus qu’une course, c’est un festival populaire à part entière. En 2026, Saint-Malo vibrera au rythme d’une programmation riche en concerts, illuminations, gradins géants et parcours immersifs. Notre ambition est de transformer chaque épreuve en un moment de rassemblement festif, où le sport devient le fil conducteur d’une expérience collective inoubliable.